David Lefort 2016

Kairos ou le talent de l’alchimiste

Transformer la réalité banale de grains de raisins en un vin qui se révèle parfois exceptionnel, voilà qui relève de l’alchimie. Le talent de l’alchimiste, c’est vivre au plus près de ce qui est en transformation : la terre, la vigne, la plante, le raisin, le vin. Ce talent n’est pas un don, il se développe. 

Il existe bien des manières d’acquérir des compétences en viticulture et en œnologie. Mais le talent est bien le fruit d’un long processus d’entrainement personnel.

Les points clés pour développer son talent d’alchimiste

  1. Travailler son sens de l’observation, sa sensibilité au terroir pour comprendre en détail les interactions entre le sol, le climat et la plante.
  2. Prendre du recul sur son travail quotidien et conserver une vue d’ensemble pour opérer les bons choix dans les vignes, en matière de vinification et d’élevage.
  3. Expérimenter de nouvelles façons de faire et se donner du temps pour les évaluer.
  4. Produire un vin en accord avec ses valeurs et ses convictions personnelles.

Pour illustrer ce talent, nous avons choisi d’interviewer un néo-vigneron dans une région viticole, où le rôle du vigneron est intimement lié au terroir : la Bourgogne.

David Lefort a rachetĂ© la maison et la cave d’un ancien vigneron de Rully en 2012. Depuis 2010, le domaine Lefort exploite deux hectares de mercurey 1er cru et trois hectares en appellation rully depuis 2013.

Ce jeune vigneron s’est appuyé sur un parcours original pour tracer une voie qui lui est personnelle : exploiter ses parcelles en viticulture biologique. David n’avait pas d’héritage viticole. Pourtant, il est parvenu à s’installer, à remettre en état ses parcelles, à doubler sa capacité de production de 4 000 à 9 000 bouteilles, à s’imposer auprès du réseau CHR et à faire de son mercurey 1er cru Castille, un vin signature auprès de grandes tables étoilées ou prestigieuses. En un mot, il est  »Certifié Talent ».

On ne naît pas alchimiste, on le devient

Le savoir-faire parfaitement maîtrisé de David Lefort pour vinifier ses parcelles de mercurey 1er cru, est le fruit d’un long processus d’entraînement personnel.

Depuis longtemps, David Lefort aime la nature, le concret, les choses qu’il peut manipuler et faire fonctionner. Il voulait devenir médecin et a d’abord étudié la philosophie des sciences et l’éthique médicale à la Sorbonne, avant de réaliser un master professionnel « vigne, vin, terroir » à l’université de Bourgogne. Son stage d’études sur les paramètres physiques et biologiques du Clos de Tart a été déterminant dans le développement de sa compréhension des interactions entre le sol, le climat et la plante.

De la mĂŞme façon, son expĂ©rience en parallèle de ses Ă©tudes, en tant que saisonnier au domaine Lorenzon Ă  Mercurey, lui a permis de dĂ©velopper son autonomie pour rentrer une vendange, la vinifier et effectuer les bons choix en matière d’Ă©levage.

Une vision pour ses vins

Pour David Lefort, les valeurs sont importantes. Parti d’une page blanche, sans hĂ©ritage viticole, il s’est lancĂ© dans son nouveau mĂ©tier de vigneron en rĂ©alisant ses propres choix pour son vignoble. Pour lui, le principal, c’était d’être en viticulture biologique car cela fait partie de ses convictions personnelles.

« Le pinot noir est un cĂ©page assez dĂ©licat, assez compliquĂ© Ă  vinifier, Il faut un bon Ă©quilibre entre le sucre et l’aciditĂ©. Il faut ĂŞtre vigilant sur la maturitĂ© phĂ©nolique. On va goĂ»ter les raisins, croquer la peau, les pĂ©pins et on va se dire c’est le bon moment pour vendanger… C’est en travaillant comme cela, Ă  la sensibilitĂ©, et au feeling que j’ai construit et trouvĂ© un terme, « kairos », qui rĂ©sume bien ma philosophie. »

David est ainsi parvenu Ă  exprimer sa vision pour ses vins Ă  travers l’idĂ©e du kairos : « S’il n’y a qu’une façon de faire le bien, il est bien des manières de le manquer. L’une d’elles consiste Ă  faire trop tĂ´t ou trop tard ce qu’il eut fallu faire plus tard ou plus tĂ´t… »

Les Grecs ont un nom pour désigner cette coïncidence de l’action humaine et du temps, qui fait que le temps est propice et l’action bonne  : c’est le « kairos », l’occasion favorable, le temps opportun , aime-t-il à rappeler sur ses étiquettes.

La première vendange pour révéler le terroir de chaque parcelle

Lors de sa toute première vendange, David Lefort avait dĂ©cidĂ© de faire des micro vinifications pour identifier le cĂ´tĂ© terroir de ses deux parcelles Clos l’Ă©vĂŞque et Champs Martin.

« Quand on s’installe, on fait un état des lieux et après on se dit: qu’est-ce que je vais faire de tout cela ? Je voulais voir ce que mes vignes avaient dans le ventre en faisant cinq cuvées différentes, quitte à les assembler ensuite… »

David aurait pu faire une seule cuvĂ©e mercurey 1er cru. Ou bien deux. En fait, il en a fait cinq. Il a fait passer une première fois les vendangeurs, en leur demandant de sĂ©lectionner les plus beaux raisins Ă  la fois dans le Clos l’évĂŞque et dans le Champs Martin. Ces deux vendanges lĂ , il les a vinifiĂ©es dans des 500 litres de vinification, en petits volumes. Il a ensuite sĂ©parĂ© les raisins issus du bas du Clos l’évĂŞque, qui est une parcelle de 90 ares de vieilles vignes, de ceux du haut du Clos l’Ă©vĂŞque composĂ© de 60 ares de jeunes vignes… ceci afin de mieux rĂ©vĂ©ler les diffĂ©rents terroirs.

La première qualité, c’est l’observation

Le talent de l’alchimiste, c’est finalement de l’empirisme et du savoir-faire. Cela vient au fil des années. 

« C’est observer la nature, anticiper sur la mĂ©tĂ©o, savoir comment la plante, la vigne, la vĂ©gĂ©tation se comportent, c’est se dĂ©placer dans les parcelles pour voir comment cela rĂ©agit. C’est un ressenti, qui va conditionner mon intervention, mĂŞme s’il y a eu beaucoup de pluies sur mes deux parcelles, je ne vais pas forcĂ©ment traiter l’une comme l’autre…

C’est vraiment l’observation parcellaire qui me guide au départ, puis j’ai des outils d’aide à la décision comme des bulletins météo pour savoir si je vais traiter ou ne pas traiter, vendanger ou pas. »

Faire des choix et expérimenter

David aime à distinguer ce qui dépend du vigneron et qu’il peut contrôler, de ce qui ne dépend pas de lui. 

L’alchimiste va effectuer des choix tout au long de l’année, dans la vigne, dans la cuverie, pendant l’élevage ou encore pour la mise en bouteille pour arriver à un produit. Il lui est aussi nécessaire de savoir faire varier les paramètres, même s’il arrive à un produit tout autre. 

« Jusqu’à maintenant, je n’ai pas filtrĂ© ni collĂ© mes vins. J’ai essayĂ© de le faire sur une cuvĂ©e. On est lĂ  pour accompagner le vin jusqu’à la bouteille sans trop d’intervention technologique. Sur les blancs, il faut ĂŞtre plus vigilant, maĂ®triser un peu plus certains paramètres comme le taux de sulfites. J’ai fait l’expĂ©rience d’un millĂ©sime Ă  l’autre sur l’un de mes blancs. Je compare Ă  ce que j’avais fait prĂ©cĂ©demment. Pour moi, la technique essayĂ©e dĂ©pouille un peu mon vin, mais je gagne en puretĂ© et en nettetĂ©. En revanche, on est sur un vin un peu plus  »standard »…

Il faut voir avec le temps, avoir du recul, pour savoir si on va retrouver les mêmes caractéristiques que les vins précédents, en modifiant juste une technique.

Le talent de l’alchimiste, c’est aussi de savoir opérer des choix en s’adaptant au millésime

« Ce qui est très intéressant et ce qui est magique dans le métier, c’est que l’on ne sait pas vraiment ce que l’on va obtenir comme produit mais on y travaille. On fait des choix. C’est finalement l’expérience qui va nous conduire à répéter chaque année les bonnes choses et puis à éliminer toutes les petites erreurs, qu’il faut rectifier car ce n’est pas le même millésime, il faut s’adapter d’année en année. »

Pour conclure, le parcours de David Lefort démontre aussi que pour réussir, le vigneron doit savoir entreprendre et poser les grandes lignes de son développement futur.

Si l’alchimiste est connecté à ses vignes et à son vin, il ne néglige pas pour autant le lien avec les marchés et les consommateurs.

 »Cela me plaît beaucoup d’accueillir les gens, de leur raconter mon histoire et ma philosophie, de les faire déguster au domaine et qu’ils ne repartent pas seulement avec un vin mais avec quelqu’un derrière la bouteille, une personnalité, quelqu’un qui est parti de rien, qui ne se destinait pas à cela, et qui finalement a construit tout un grand projet. »

Par Sylvie Brasquies, publié le 02 Juin 2016
Tous droits réservés©

Retrouver tous nos articles CERTIFIES TALENTS :

https://www.neoverticales.com/2016/05/19/talent-vigneron/

https://www.neoverticales.com/2019/10/21/transmettre-des-emotions-en-parlant-de-son-vin/

https://www.neoverticales.com/2019/10/21/la-vision-du-vigneron-pour-exprimer-son-terroir/

https://www.neoverticales.com/2019/10/21/etre-connecte-avec-la-terre-les-vignes-et-le-vin/