Convertir son vignoble en biodynamie est un vrai projet de changement
Pour illustrer les 6 points prioritaires de mon article prĂ©cĂ©dent Ă propos du passage en biodynamie, jâai choisi dâinterviewer Carel Voorhuis, lâancien rĂ©gisseur du Domaine dâArdhuy Ă Corgoloin en Bourgogne. Il a vinifiĂ© un large Ă©ventail de crus en viticulture raisonnĂ©e avant de conduire le domaine avec succĂšs jusquâĂ la certification en biodynamie en 2012. AprĂšs 14 ans passĂ©s au Domaine dâArdhuy, Carel vient de rejoindre la Maison Camille Giroud en tant que rĂ©gisseur.
1-Anticiper les changements techniques en amont du projet de conversion
Pour Carel, lâun des points clĂ©s est lâanticipation : « Avant mĂȘme de pratiquer les premiers essais en bio, le choix dâune stratĂ©gie de qualitĂ© conduit Ă intensifier les labours, Ă rĂ©duire les doses de dĂ©sherbage pour sâorienter vers du dĂ©sherbage dâappoint, Ă arrĂȘter la fertilisation chimique pour se contenter de traiter les carences sâil y en a.  »
Ces changements de techniques doivent ĂȘtre mis en Ćuvre bien en amont du projet de conversion.
2-Bien communiquer auprĂšs de son Ă©quipe ce qui va changer
La conversion en viticulture biologique est une dĂ©cision qui va provoquer dâimportantes modifications au niveau de lâorganisation pour les ouvriers viticoles au niveau des mĂ©thodes et matĂ©riels utilisĂ©s. Il est important dâexpliquer ce qui va changer pour eux.
ââEn viticulture bio, les ouvriers viticoles ont globalement un environnement de travail plus sain. Ils ont des vignes moins vigoureuses. Cela implique des bois moins gros Ă tailler. Et mĂȘme lorsquâon a un sĂ©cateur Ă©lectrique, cela veut dire potentiellement moins de TMS, mais aussi moins dâĂ©bourgeonnage, moins de pampres en surnumĂ©raireâŠ
Globalement, si on fait un sondage, il nây en a pas beaucoup qui retournerait en arriĂšre.
3- Mettre en place une nouvelle organisation pour gĂ©rer lâaugmentation de la charge de travail
Lorsque le Domaine dâArdhuy Ă©tait en lutte raisonnĂ©e, il utilisait deux tracteurs enjambeurs et deux tractoristes pour travailler ses 40 hectares. Aujourdâhui il y a cinq tractoristes, qui font beaucoup dâheures supplĂ©mentaires : « En saison, il faut traiter quasiment toutes les semaines alors quâavant avec des pĂ©nĂ©trants ou des systĂ©miques on pouvait tirer 12 Ă 14 jours. »
Le travail dans les vignes nâest pas radicalement diffĂ©rent mais il y a eu une charge de travail beaucoup plus importante, ce qui veut dire une organisation plus pointue Ă avoirâŠ
4-Faire des essais et apprendre de ses erreurs
Afin de sâassurer que lâorientation que lâon veut prendre est la bonne pour son vignoble, il faut dâabord faire quelques essais en viticulture biologique et de contourner certains Ă©cueils techniques.
Pour moi, le principal Ă©cueil de la bio et de la biodynamie, câĂ©tait le cuivre.
« Quand on a fait nos tests en bio, on a commencĂ© Ă valider avec nos propres expĂ©riences, ce que lâon nous disait en biodynamie mais quâĂ la base jâavais du mal Ă croire : avec des traitements Ă des doses trĂšs faibles de lâordre de 200 g de cuivre mĂ©tal par hectare, cela permettait de tenir, en renouvelant quand câĂ©tait lessivĂ©. »
On a vu que ça marchait parfaitement bien et on a décidé de faire la conversion.
5-Gérer sa motivation tout au long du processus pour dépasser les étapes difficiles
La pĂ©riode de conversion est de trois ans pour obtenir la certification. Dâun point de vue technique, le vigneron traverse des Ă©tapes de frustration et de doute : « 2012 a Ă©tĂ© une annĂ©e trĂšs compliquĂ©e avec du mildiou sur grappes et on a perdu pas mal de rĂ©colte et il se mettait Ă pleuvoir aux pĂ©riodes oĂč on faisait un traitementâŠÂ »
On savait trĂšs bien que nos cuivres Ă©taient lessivĂ©s, quâon allait avoir des contaminations mais on Ă©tait impuissants.
Finalement, malgrĂ© la prise de risque que cela comportait, le domaine dâArdhuy a dĂ©cidĂ© de rester en biodynamie et de tenir bon.
6-Mener le changement jusquâaux circuits de distribution
Lâobtention dâune certification marque un nouveau dĂ©part pour le vigneron. Le passage en biodynamie sâaccompagne Ă©galement dâune Ă©volution de la politique commerciale pour assurer la rentabilitĂ© de son domaine. Il sâagit de cibler un nouveau panel de distribution pour accĂ©der Ă une clientĂšle haut de gamme au dĂ©triment de marchĂ©s moins rĂ©munĂ©rateurs.
Le passage Ă la biodynamie est un projet de changement profond dont on ne peut pas sous-estimer les aspects humains : on introduit de nouvelles valeurs Ă partager, on touche aux habitudes de travail de chacun. La phase la plus critique est celle oĂč le vigneron vit des moments de doute et de remise en question. Il sâagit dâune Ă©tape forte oĂč le vigneron « dĂ©sapprend » pour mieux sâengager vers de nouvelles habitudes de travail.
En conclusion, le passage en biodynamie nécessite de nouvelles capacités techniques et commerciales et exige de grandes qualités humaines pour entreprendre un nouveau départ pour soi et son vignoble.
Par Sylvie Brasquies, publié le 23 novembre 2017
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