La génération Z est-elle une chance pour les vignerons?
Les jeunes Z ont presque 25 ans pour les plus âgés1. Ils arrivent sur le marché du travail. Certains rejoignent les domaines viticoles. Lorsque l’on travaille en équipe avec deux ou trois générations différentes, il faut veiller à la cohabitation ! Chaque génération a son style. Qu’apportent ces nouveaux milléniaux à l’entreprise ? Sur quelles bases construire la coopération avec leurs aînés de 10 ans ou 25 ans de plus ?
Voici quelques observations issues de ma pratique du conseil en management auprès des entreprises du vin et au contact de ces jeunes futurs chefs de d’exploitation ou responsables commerciaux et marketing lors de mes formations à l’Institut Jules Guyot ou à la Burgundy School of Wine &spirits business.
La notion de génération représente des individus ayant un vécu commun, qui peut notamment être observé par l’âge. Côté consommation, le marketing du vin a largement scanné les premiers milléniaux dans leurs envies et leurs modes de consommation2.
Au sein de la filière, les milléniaux ont d’abord pris le visage d’une tribu de joyeux geeks passionnés par le vin, devenus entrepreneurs autour de la Winetech. Désormais, les nouveaux milléniaux, la génération Z des 18- 24 ans, rejoignent les entreprises du vin pour y travailler dans les vignes, les chais, à la vente et à l’export.
Un nouveau centre de gravité pour le métier de vigneron
La jeune génération est en train d’agir sur le centre de gravité du travail. Elle s’est donnée pour priorité un meilleur équilibre de vie en refusant les mêmes rythmes de travail que ses aînés. Réussir signifie s’épanouir en combinant à la fois la sphère professionnelle et personnelle. Cette règle de vie vient interroger la notion de vocation, si chère aux vignerons. Une vocation, qui s’exerce dans le fait que l’on donne sans compter à ses vignes jusqu’à s’oublier soi-même parfois…
Travailler en brigade et avoir les manettes
On les désigne comme « digital natives », mais un point essentiel reste le besoin d’appartenir à une communauté. Les nouveaux milléniaux aiment travailler en équipe, en brigade dans laquelle les membres acceptent pleinement les règles ou bien s’en vont.
Ce qui va compter ce n’est pas le métier mais la mission qui leur est confiée au sein du domaine viticole.
Ils sont attachés à leur autonomie d’action au sein de l’entreprise : jadis les jeunes étaient là pour observer, apprendre avant d’être aux manettes… beaucoup plus tard. C’est terminé, les nouveaux milléniaux veulent agir ici et maintenant !
C’est plutôt une chance pour les entreprises du vin, à la condition de valoriser l’esprit d’équipe, de faire confiance à leur auto-organisation et de leur laisser les manettes pour certaines tâches. Tout le contraire d’un management directif avec une seule manière de voir le monde et de s’exprimer.
Le bio entre dans le socle de base des connaissances
C’est pour les jeunes d’abord un principe de vie : on constate parfois qu’il devient moins facile d’attirer des jeunes saisonniers si votre domaine ne conduit pas les vignes en bio …
C’est aussi une question d’enseignement agricole. Les futurs jeunes viticulteurs détiennent un socle de base de connaissances sur les enjeux environnementaux et sur l’agriculture biologique, que certains de leurs aînés ne se sont pas pleinement approprié.
La filière viticole bio est une filière dynamique : la production est en constante augmentation et le marché continue de se développer3. En ce sens, l’arrivée de la génération Z dans les vignobles peut contribuer à accélérer la dynamique du Bio, afin de l’intégrer dans les pratiques comme un des leviers de développement.
La prise en compte du féminin
Pour les nouveaux milléniaux, l’équité est un point fondamental. Ils sont particulièrement sensibles à toutes formes d’iniquités : dans le partage de la valeur entre agriculteurs et GD par exemple mais également dans l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. Cela les touche bien davantage que leurs aînés !
Rappelons que le monde agricole vient de loin. Il aura fallu attendre la loi d’orientation agricole de 1999 pour améliorer la protection sociale des viticultrices en créant le statut de conjointe collaboratrice. Les vigneronnes, héritières, repreneuses et viticultrices ont dû batailler et apprendre à composer avec les préjugés dans un monde du vin notoirement masculin. Elles s’expriment aujourd’hui à travers leurs labels associatifs : Women Do Wine, les Fab’bulleuses en champagne, les Vinifilles en Occitanie, les Divines en Alsace, les Alenior du vin de Bordeaux… Pour autant, alors que 50 à 60% de femmes sont promues œnologues chaque année, elles ne représentent que 30% des cheffes d’exploitation et 20% des sommelières en France, selon l’étude menée en 2019 par Vin et Société.
En cela, les nouveaux milléniaux permettent d’éclairer les inégalités qui se jouent à l’intérieur des domaines viticoles. Ils contribuent à identifier des actions concrètes pour réduire les écarts entre les hommes et les femmes du vin en termes d’accès aux responsabilités, d’égalité salariale et de conciliation des temps de vie.
Favoriser une fertilisation croisée des connaissances entre les générations
La génération Z invite les vignerons à pousser les portes entrebâillées d’un plus grand respect de l’environnement et de l’égalité professionnelle. Pour autant, ce n’est pas si simple car chaque génération fonde ses réactions sur des référentiels différents. Cette situation peut amener des incompréhensions, causer des tensions, qui s’illustrent dans des conflits intergénérationnels. On perd de l’efficacité, on se démotive.
Pour réussir l’alchimie entre les générations, il convient de permettre à chaque génération de trouver sa place. L’obsolescence des compétences s’accélère. Les savoirs ne peuvent plus se transmettre de façon unilatérale des anciens vers les plus jeunes. Les nouveaux savoirs se construiront à travers un co-apprentissage entre les différentes générations.
4 actions clés pour une meilleure coopération entre les générations du vin
• mixer les équipes en vue de valoriser l’apport des uns et des autres
• développer des occasions d’échanges pour un co-apprentissage sur les thématiques environnementales
• s’entraîner au décryptage et à la compréhension de la vision de l’autre4
• utiliser les outils numériques comme fertilisation croisée des connaissances
Les plus âgés pourront expliquer le temps long de la vigne et du vin, créer les conditions d’un l’apprentissage en dehors du net, en situation terrain.
De plus, les aînés sont souvent porteurs de la mémoire collective du domaine et de l’appellation. Ils pourront témoigner de l’évolution des pratiques, partager leurs échecs et leurs réussites. C’est aussi ce qui va permettre à la jeune génération de se projeter pour réussir.
En conclusion, la génération Z est une chance pour les vignerons à la condition de ne pas chercher à leur transmettre ses propres savoirs à tout prix, mais de s’attacher davantage à inventer ensemble les nouveaux codes du vin.
- La génération Z dite des nouveaux millenials est née à partir de 1995. On les appelle Z parce qu’ils sont nés après les X et les Y. Les X sont nés entre 1965 et 1980. Ce sont les enfants des baby-boomers. La génération Y, dite des millenials, est née entre 1980 et 1995.
2Vin &Société. La Génération Y et le vin – Étude Ifop, 2019
3Fédération nationale d’agriculture biologique. Produire bio en viticulture, 2021
Par Sylvie Brasquies, publié le 17 juin 2021
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